vendredi 27 janvier 2012

Tout sur le nouveau tour de vis budgétaire européen

Au hasard d'un échange de mails, le toujours pertinent Paul Jorion m'a fait l'honneur de publier hier un large extrait d'un de mes billets sur son blog. Le post est accessible ici.
Ci-dessous, la version complète de ce texte.

Tout le monde le reconnaît: les décisions européennes ont un impact toujours plus important sur l'économie, les lois, la vie quotidienne. La tendance est devenue évidente avec la crise de l'euro, qui amène les Etats à mettre en commun d'importantes compétences souveraines. Les citoyens et même leurs représentants élus continuent pourtant à ne s'intéresser que de loin, ou plutôt trop tard, à la politique européenne.
Dans les parlements des pays membres, beaucoup de députés ne se sont pas encore remis des prérogatives qu'ils ont perdues avec l'entrée en vigueur d'un "semestre européen" et d'une législation dite "six-pack": obligation pour chaque pays de présenter son budget à la Commission européenne dans un calendrier serré et sanctions à gogo pour les déficits, dettes et même déséquilibres jugés excessifs.
Mais, alors que l'encre de ces accords n'est pas encore sèche, beaucoup ne voient pas qu'un un nouveau durcissement des règles est, déjà, sur le point d'être adopté.
  • Un traité de discipline budgétaire, négocié au pas de charge sous pression de l'Allemagne, sera discuté au sommet européen de ce lundi 30 janvier.
  • Un second traité instituant un Mécanisme européen de stabilité, sorte de fonds monétaire européen vient d'être finalisé (mais il doit encore être ratifié) 
  • De nouvelles propositions (déjà rebaptisées "two-pack" en jargon eurobruxellois) visent à accentuer encore la surveillance des comptes nationaux par la Commission
Plutôt que de critiquer le nouveau cadre une fois qu'il sera adopté, comme il est de coutume dans les affaires européennes, les élus et citoyens, seraient bien inspirés de peser sur la négociation alors qu'elle est encore en cours. A cet égard, l'exemple de l'Allemagne devrait inspirer les autres pays. A Berlin, la chancelière débat des enjeux européens au Bundestag avant les sommets. Elle se rend donc à Bruxelles forte d'un mandat clair de son parlement.
En guise de contribution à ce débat, je voudrais, dans ce billet, donner quelques éclaircissements sur le nouveau tour de vis en préparation.
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire - plus souvent appelé traité de discipline budgétaire (dernière version du texe ici) - est celui qui risque de faire couler le plus d'encre. Le texte a été négocié au cours des dernières semaines par des experts des Etats membres (à l'exception des Britanniques, qui ont refusé d'y participer). Son objectif ? Graver dans le marbre d'un traité l'obligation d'avoir un budget équilibré (une obligation qui existe pourtant déjà dans de nombreux autres textes européens). Sa vraie raison d'être ? Offrir à la chancelière allemande Angela Merkel un trophée en échange des milliards déboursés pour aider la Grèce et les autres. L'électoral allemand est en effet très majoritairement réticent à la solidarité avec des pays vus comme des cigales. Le problème ? Le reste de l'Europe est opposé à cette rigueur toute luthérienne mais n'ose pas s'opposer à celle qui se pose désormais, après des mois de tergiversations dans la crise de l'euro, en véritable dame de fer continentale.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, voici un bref résumé des principaux articles du traité, dont la dernière version est accessible ici. Les Etats signataires s'engagent à intégrer dans leur législation interne, "de préférence au niveau constitutionnel" des règles "contraignantes et permanentes" interdisant les déficits structurels supérieurs à 0,5% du PIB (article 3). La Commission européenne ou un autre Etat membre peuvent traîner devant la Cour de Justice un pays qui ne se serait pas acquitté de son obligation (article 8, qui ne manquera pas de créer une bonne ambiance entre pays).
L'article 7 est particulièrement aberrant: les pays signataires s'engagent à approuver toute proposition de la Commission quand celle-ci engagera une procédure en déficit excessif. Autrement dit, les Etats s'engagent à abandonner leur jugement politique au profit d'une application automatique de sanctions contre un pays “déviant”.
Comme tous les traités, celui-ci devra être ratifié. Les négociateurs semblent avoir anticipé son impopularité, puisqu'ils ont prévu qu'il entrerait en application dès que 12 pays l'auront ratifié. Pas question, donc, que l'Irlande puisse entraver le processus en organisant un référendum.
Le Traité instituant un Mécanisme européen de stabilité (MES) (dernière version du texte ici) sera moins controversé. Il crée une version permanente de la facilité FESF, qui a prêté des centaines de milliards au Portugal et à l'Irlande en échange de programmes d'assainissement drastiques. Pour bien faire comprendre aux "cigales" qu'il ne s'agissait plus de chanter tout l'été, l'Allemagne a fait inscrire que le MES ne serait accessible qu'aux pays ayant ratifié le traité de discipline dont j’ai fait état un peu plus haut.
Le MES, qui incarne la (toute relative) solidarité entre les Européens, compte néanmoins quelques opposants. En Allemagne, une campagne a été lancée contre certaines dispositions, curieuses il est vrai, de ce texte. La protection du staff contre les poursuites judiciaires et son financement jugé peu démocratique sont critiqués. En Belgique, la campagne est relayée par le Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), notamment avec cette vidéo.


Enfin, plus discrètement, mais tout aussi efficacement, deux règlements renforceront le contrôle de la Commission sur les comptes nationaux. En particulier, le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro (texte ici) permet à la Commission de placer, sans aucune autre forme de contrôle démocratique, un Etat sous surveillance renforcée. Ce pays est tenu d'adopter "des mesures visant à remédier aux causes ou aux causes potentielles de ses difficultés" (article 3).
La volonté de laisser des finances assainies aux générations futures est louable. On ne peut que partager la volonté des dirigeants européens d'éviter une répétition de la crise actuelle. Mais l'arsenal législatif qui est mis en place ne va-t-il pas trop loin ? Il pose en tout cas de nombreuses questions essentielles, aussi bien démocratiques qu'économiques. Adopter ces réformes au pas de charge, sans débat démocratique, n'est pas la voie à suivre, n'en déplaise à Angela Merkel.

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